La beauté humaine et le temps
« Ce n’était plus seulement ce qu’étaient devenus les jeunes d’autrefois,
mais que deviendraient ceux d’aujourd’hui,
qui me donnait avec tant de force la sensation du Temps.
Les traits où s’était gravée sinon la jeunesse,
du moins la beauté ayant disparu chez les femmes,
elles avaient cherché si, avec le visage qui leur restait,
on ne pouvait s’en faire une autre. Déplaçant le centre,
sinon de gravité, du moins de perspective, de leur visage,
en composant les traits autour de lui suivant un autre caractère,
elles commençaient à cinquante ans une nouvelle sorte de beauté,
comme on prend sur le tard un nouveau métier,
ou comme à une terre qui ne vaut plus rien pour la vigne on fait produire des betteraves.
Autour de ces traits nouveaux on faisait fleurir une nouvelle jeunesse.
Seules ne pouvaient s’accommoder de ces transformations
les femmes trop belles, ou les trop laides.
Les premières, sculptées comme un marbre aux lignes définitives
duquel on ne peut plus rien changer, s’effritaient comme une statue. »
Marcel Proust Le temps retrouvé, Livre de Poche p.317