"L'humanité n'est pas un état à subir. C'est une dignité à conquérir." Vercors

Publié le par philoLevallois

« Il y a un très joli conte pour les enfants, que j'ai lu,
que vous avez lu, que tout le monde a lu.
Je ne sais si le titre est le même dans les deux pays.
Chez moi, il s'appelle : Das Tier und die Schöne, - la Belle et la Bête.
Pauvre Belle ! La Bête la tient à merci, impuissante et prisonnière,
elle lui impose à toute heure du jour son implacable et pesante présence ...
La Belle est fière, digne, elle s'est faite dure ...
Mais la Bête vaut mieux qu'elle ne semble.
 Oh ! elle n'est pas très dégrossie ! Elle est maladroite,
brutale, elle paraît bien rustre auprès de la Belle si fine ! ...
Mais elle a du cœur, oui, elle a une âme qui aspire à s'élever.
Si la Belle voulait ! ... La Belle met longtemps à vouloir.
Pourtant, peu à peu, elle découvre au fond des yeux du geôlier haï une lueur,
un reflet où peuvent se lire la prière et l'amour.
Elle sent moins la patte pesante, moins les chaînes de sa prison ...
 Elle cesse de haïr, cette constance la touche, elle tend la main ...
 Aussitôt la Bête se transforme, le sortilège
qui la maintenait dans ce pelage barbare est dissipé : c
'est maintenant un chevalier très beau et très pur, délicat et cultivé,
que chaque baiser de la Belle pare de qualités toujours plus rayonnantes ...
Leur union détermine un bonheur sublime.
Leurs enfants, qui additionnent et mêlent les dons de leurs parents,
sont les plus beaux que la terre ait portés ...
N'aimiez-vous pas ce conte ? Moi je l'aimais toujours, je le relisais sans cesse.
 Il me faisait pleurer. J'aimais surtout la Bête, parce que je comprenais sa peine.
Encore aujourd'hui, je suis ému quand j'en parle. »
Il se tut, respira avec force, et s'inclina : « Je vous souhaite une bonne nuit. »

Vercors, Le silence de la mer. Editions Albin Michel, Paris 1951, p. 29-30.

Publié dans Textes littéraires

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